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Sciences «molles», avenir mou?

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Photo : Jean-François Bérubé

« As-tu fini de pelleter des nuages???» Cette question ironique, Isabelle Simard, 41 ans, se l’est fait poser plus d’une fois pendant ses études. Titulaire d’un bac et d’une maîtrise en histoire de l’art, d’un diplôme de 2e cycle en muséologie et d’un doctorat en ethnologie de l’Université Laval, cette brune aux yeux verts se décrit pourtant comme une personne «?très terre à terre?». Directrice de la Recherche et de l’Intel­ligence de marché à la Banque de développement du Canada, à Montréal, elle est la preuve vivante qu’une formation en sciences humaines, c’est du sérieux?!

«?Je me suis toujours sentie différente dans le milieu bancaire, en raison de mon parcours atypique, dit-elle. Mes dernières maths remontent à ma 5e secondaire, mais comme ethnologue, je sais interpréter les chiffres pour comprendre le comportement des consommateurs et des entrepreneurs.?»

Chefs d’entreprise, publici­taires, directeurs de marketing, militaires, journalistes, députés… Il y a des diplômés en sciences humaines partout (voir «?Des PDG qui osent?», p. 36). Qu’ils aient étudié en histoire, en sociologie, en philosophie, en sciences politiques, en arts ou en littérature, ils ont réussi à intégrer le marché du travail, même si leur formation ne menait à aucun emploi précis – contrairement à celle de leurs condisciples des facultés de génie ou des écoles de gestion.

Et pourtant. Les préjugés à l’égard de ces disciplines sont tenaces et ont resurgi lors du «?printemps québécois?». Nom­bre de commentateurs ont qualifié le conflit étudiant de «?révolution des sciences molles?». Et invectivé ces «?charrieux de pancartes?», «?enfants gâtés?» accusés de vivre aux crochets des contribuables.

«?À l’inverse, beaucoup de gens ont été séduits par les compétences en communication, en argumentation et en analyse des leaders étudiants, dit Louise Bienvenue, professeure titulaire au Département d’histoire de l’Université de Sherbrooke. Tous venaient des sciences humaines, preuve que nous formons des personnes bien équipées pour la vie citoyenne?!?»

Que le mouvement d’opposition à la hausse des droits de scolarité ait été plus vigoureux chez les étudiants en arts, lettres, sciences humaines et philo n’a rien d’étonnant pour le sociologue Stéphane Kelly. «?Le vote des grévistes était rationnel, dit-il. Sur le marché du travail, leur diplôme vaudra moins que celui d’un ingénieur ou d’un médecin.?» Mais leur motivation n’était pas que matérialiste. «?Ces étudiants ont souvent une vision plus critique, ou plus romantique, du fonctionnement de la société.?»

Une vision qui est plus que jamais nécessaire dans notre monde complexe, en perpétuel changement, selon Graham Carr, président de la Fédération canadienne des sciences humaines et vice-recteur à la Recherche et aux Études supérieures à l’Université Concordia. «?Polyvalents, créatifs, ces diplômés peuvent s’adapter à toutes sortes d’environnements et de situations?», dit-il.

De plus en plus d’entreprises en sont conscientes. Aux États-Unis, le géant d’Internet Google a annoncé en 2011 que la majorité des 6 000 personnes qu’il comptait embaucher d’ici un an seraient diplômées en arts et en sciences humaines. En France, divers programmes ont été mis en place pour faciliter l’insertion des «?littéraires?» sur le marché du travail – comme l’opération Phénix (voir p. 36) -, afin de diversifier le personnel, trop souvent moulé dans les écoles de commerce et de génie. À quand de telles initiatives au Québec??

•••

Combien coûte un bac en sciences humaines?? Quels sont les débouchés?? Combien de temps faut-il pour trouver un emploi?? Aux journées portes ouvertes de l’Université de Sherbrooke, Louise Bienvenue, professeure d’histoire, doit souvent répondre à ce genre de questions. «?Ce sont les parents qui les posent, dit-elle. Les jeunes, eux, sont d’abord guidés par leur passion.?»

Les études universitaires doivent-elles être un «?investissement?» rapidement rentable?? «?Choisir un programme qui mène à une profession peut être rentable à court terme, dit l’ethnologue Isabelle Simard. Mais combien de ceux qui choisissent un domaine d’études pour des raisons alimentaires remettent leur choix en question et retournent même à l’école à 30 ans, parce qu’ils n’aiment pas ce qu’ils font???»

Selon un rapport publié en 2011 par Torben Drewes, professeur d’économie à l’Uni­versité Trent, en Ontario, les diplômés canadiens en «?humanités?» ont plus de mal à décrocher un emploi en début de carrière. Après trois à cinq années sur le marché du travail, leur situation (poste et salaire) s’améliore toutefois et équivaut à celle de diplômés d’autres secteurs.

Les universités s’efforcent d’aider leurs ouailles à se placer. À l’Université de Sherbrooke, les étudiants au bac en histoire suivent une formation en informatique appliquée à l’histoire et apprennent à vulgariser leurs travaux par la rédaction de rapports de recherche, de communiqués de presse ou d’articles.

À l’UQAM, on a mis en place différents réseaux socioprofessionnels en sciences humaines – notamment en histoire et en socio -, qui regroupent étudiants, diplômés, professeurs et qui organisent des activités permettant de mieux cerner les divers débouchés pour l’emploi.

À l’Université Laval, une première «?journée carrière?» en sciences humaines s’est tenue en février, à laquelle ont participé une trentaine d’employeurs potentiels (du secteur public surtout, mais aussi des entre­prises). Et un outil Web individualisé, le Webfolio, propose notamment aux étudiants des exercices qui leur permettent de mieux se connaître (forces, valeurs, limites…). Ils apprennent aussi à mieux comprendre le marché du travail, à préparer des stratégies efficaces de recherche d’emploi et à mettre en valeur leurs compétences.

«?L’étudiant en lettres ou sciences humaines doit être plus proactif pour intégrer le marché du travail, dit André Raymond, directeur adjoint des services professionnels au Service de placement de l’Université. Dès sa 1re année, il doit commencer à s’interroger sur les cours à option, les stages et les formations complémentaires plus appliquées qu’il devrait suivre pour maximiser ses chances de trouver un emploi.?»

 

LIRE AUSSI :  De l’avenir pour les «sciences molles» >>

6 parcours atypiques

Mike Ashar

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Président d’Irving Oil

• Bac en philosophie, bac en génie chimique et bac en économie

• Maîtrise en administration des affaires

«?Mes études de philosophie m’ont permis d’acquérir une pensée critique­ et diverses perspectives. En plus des solutions mécanistes traditionn­elles issues de la science et de l’économie, une formation général­e en philosophie procure de la perspicacit­é par rapport aux stratégies d’affaires et à leur applicatio­n.?»

Pierre Karl Péladeau

Président et chef de la direction de Québecor

• Bac en philosophie (UQAM, 1983) et en droit (Université de Montréal)

Louis Garneau

Cycliste et entrepreneur, fondateur de Louis Garneau Sports

• Bac en arts plastiques (Université Laval, 1983)

«?J’aime penser que l’art mène à tout.?» (Lors de la remise d’un prix de l’Association des diplômés de l’Université Laval, en 2008)

Régis Labeaume

Maire de Québec

• Bac en sociologie (Université Laval, 1989)

«?Mes trois années de sociologie m’ont appris à cerner les rapports de force.?»

(«?Labeaume atomique?», L’actualité, septembre 2009)

Laura Urtnowski et Bernard Morin

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Présidente / Directeur général des Brasseurs du Nord

Laura Urtnowski?:

• Bac en histoire (UQAM, 1985)

Bernard Morin?:

• Bac en géographie (UQAM, 1985)

Philippe Lapointe

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Vice-président principal au développement des médias multiplateformes, Transcontinental

• Maîtrise en philosophie

(Université de Montréal, 1981)

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