
Annie Laberge n’a jamais bénéficié d’un régime collectif de pension chez la dizaine d’employeurs pour qui elle a travaillé. Mais elle a négocié de meilleures conditions à chaque nouvel emploi. – Photo : Martin Laprise
En 12 ans de vie professionnelle, Annie Laberge, 36 ans, a changé d’emploi une dizaine de fois. Assez pour que sa meilleure amie lui promette toute une fête le jour où elle sera demeurée au moins un an au même endroit !
La jeune femme aux yeux verts et au visage rousselé en rit. Changer d’emploi, c’est son choix. « C’est dans mon ADN d’avoir besoin de bouger ! » dit cette triathlète, maman d’une fille de sept ans.
Annie Laberge ne fait pas exception. Les jeunes de la génération Y — nés entre la fin des années 1970 et le début des années 1990 — changent d’emploi aussi souvent que de statut Facebook. La moitié des 15 à 30 ans conservent leur boulot moins d’un an. Et le nombre moyen de changements au cours d’une décennie est de cinq à six chez les 18 à 30 ans, selon l’Institut de la statistique du Québec.
Au moment de publier cet article, Annie Laberge était directrice de comptes à l’agence de marketing numérique montréalaise Adviso. Elle jure que cette fois est la bonne. « Je suis bien là où je suis. Je dis souvent pour plaisanter que je vais rester jusqu’à ma retraite… à 45 ans ! »
Justement, à quoi ressemblera la retraite de ces travailleurs volages ? Ce butinage professionnel met-il en péril leurs chances de vivre leurs vieux jours à l’abri des soucis financiers ?
Tout dépend de ce qu’on laisse derrière soi à chaque départ, souligne Maryse Filion, directrice régionale principale à Gestion de patrimoine TD. « En sautant d’un emploi à l’autre, les jeunes travailleurs se privent de l’effet à long terme d’un fonds de pension de l’employeur », dit-elle. Les régimes de retraite à prestations déterminées garantissent un revenu de retraite qui augmente avec l’ancienneté. Surtout offerts par les grandes entreprises, de tels régimes sont de plus en plus rares. Un employé devrait donc y penser à deux fois avant de renoncer à cet avantage.
« Ce type de régime permet souvent de prendre sa retraite plus jeune. Quand on change d’emploi souvent, on risque de devoir prendre sa retraite plus tard », dit Daniel Laverdière, directeur principal de la planification financière et du service-conseil à la Banque Nationale Gestion privée 1859.
Lorsqu’il quitte son poste, l’employé qui bénéficiait d’un tel régime a deux choix. Un : laisser les sommes accumulées dans le fonds de pension, pour recevoir à la retraite — et jusqu’à son décès — une rente de son ex-employeur. Deux : transférer dès son départ la somme accumulée dans un compte de retraite immobilisé (CRI), où elle sera gelée jusqu’à la retraite.
Ni l’une ni l’autre de ces possibilités n’a d’incidence sur le capital. « Si j’avais ce choix à faire, je laisserais mes billes chez mon ex-employeur », dit Nathalie Bachand, planificatrice financière chez Bachand Lafleur, groupe conseil. Toutefois, si l’on craint que l’ex-employeur ne fasse faillite, mieux vaut partir avec l’argent.
Dans les cas où les sommes accumulées au fil des emplois sont petites, multiplier les bouts de rentes d’ex-employeurs n’est pas la solution la plus pratique : mieux vaut transférer les sommes dans un CRI, pour tout gérer au même endroit.
Au Québec, seulement 40 % des travailleurs cotisent à une caisse de retraite de leur employeur. Les autres doivent s’en créer une eux-mêmes. « Les gens qui changent souvent d’emploi doivent se responsabiliser encore plus que les autres », souligne Maryse Filion.
Annie Laberge n’a jamais bénéficié d’un régime collectif de pension. Par contre, elle a négocié de meilleures conditions auprès de chaque nouvel employeur, obtenant chaque fois une promotion et une augmentation de salaire allant de 5 000 à 10 000 dollars. Elle a donc pu mettre de l’argent de côté pour la retraite. « Je n’aurais pas pu améliorer mon sort aussi vite sans changer d’emploi, car dans mon secteur, il n’y a souvent pas d’évaluation annuelle de la performance, donc peu de possibilités d’augmenter son salaire », dit-elle.
Daniel Laverdière conseille aux travailleurs volages d’épargner au moins 10 % de leur salaire annuel en vue de la retraite. Le moyen le plus efficace est de prélever une somme sur chaque paye et de la verser dans un REER ou un CELI. « On s’habitue ainsi à vivre avec un salaire moins élevé », dit-il.
Ceux qui ne font pas de provisions devront compter seulement sur la Régie des rentes du Québec et la pension de la Sécurité de la vieillesse du fédéral, auxquelles tout travailleur salarié au Québec cotise. Mais il faut savoir que, pendant les périodes de chômage, on cesse de cotiser. À la retraite, le revenu de pension sera donc moindre. À moins de travailler plus longtemps pour compenser.
« Occuper trois ou quatre emplois dans sa vie est devenu la règle », note Patrick Marier, professeur à l’Université Concordia et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les politiques publiques comparées. Il croit que les régimes publics et privés devront s’adapter à cette nouvelle réalité, comme c’est déjà le cas dans certains pays d’Europe.
« En Belgique, par exemple, il existe des régimes de retraite sectoriels, qui permettent aux personnes qui changent d’employeur souvent, mais dans le même domaine, de garder leur fonds de pension et de continuer à cotiser sans interruption. »
Cet article Gros roulement, petite retraite ? est apparu en premier sur L'actualité.